Kevin et Mickaël avaient monté leur coup avec leurs armes habituelles : légèreté, incompréhension et interprétations erronées. Kevin était le cerveau du duo et Mickaël les muscles, mais on aurait pu intervertir sans que la qualité de cerveau ou de muscles disponibles ne baisse sensiblement. Kevin et Mickaël préparaient toujours leurs coups avec le même manque de minutie : ils confondaient l’attente avec la préparation, l’impatience avec l’enthousiasme. Pour Kevin, rester stationné devant une maison pour apprendre ce qui se déroulait à l’intérieur tenait de la croyance. Il croyait en un dieu inexistant ou à tout le moins mal invoqué. Tout ce qu’avait récolté Kevin en appliquant cette technique se résumait à se faire arrêter, une fois sur deux, avant le passage à l’acte. Il y a assez peu de quartiers où l’on peut rester stationné des heures sans éveiller l’attention. A Los Angeles certainement, dans la banlieue pavillonnaire de Lille un peu moins.
Il avait bien tenté de confier le repérage à Michaël qui, ne possédant pas de voiture, devait attendre sur un banc, le long d’un arbre ou plus souvent devant le portail de la maison cible. Le temps d’intervention de la police en était alors copieusement réduit mais Kevin, qui aurait pu y voir un gain de temps comme le lui avait fait remarquer Michaël, en était resté à son plan initial : on guette depuis une voiture.
Donc, Kevin guettait la maison de Jeanne Lancelin, de son fils Jonathan et sa fille Melissa dans cette banlieue ni très riche, ni très pauvre de Lille. Pourquoi la maison de Jeanne Lancelin ? Qu’espéraient y trouver nos deux compères ? Ce n’était à vrai dire pas très clair pour Mickaël qui n’arrivait pas à se le faire préciser par Kevin. Et pour cause : Kevin avait discuté avec un certain Ludovic, assez connu dans ce milieu fermé mais pourtant bien perméable des indics, receleurs et autres fourgues. Et Ludovic, formel, avait laissé tomber péremptoire : « Cette maison, c’est la caravane d’Ali Baba » ! A quoi Kevin avait répondu : « Tu te trompes Ludovic, c’est pas la caravane d’Ali Baba, mais la taverne d’Ali Baba. Ludovic qui n’aimait pas particulièrement être interrompu, encore moins contredit, avait conclu : « Si tu le prends comme ça, je te dis pas ce qu’il y a dedans ». Kevin, vexé, aurait dû insister. Ce qu’il fit mais, comme souvent avec Kevin, il insista sur l’accessoire, oubliant l’essentiel : « Je t’assure que c’est la taverne, si tu ne me crois pas, c’est pas mon problème. Et on trouvera bien tous seuls ce qu’il y à prendre dans cette caravane !». Ludovic, frustré, allait lâcher le morceau mais Kevin était déjà reparti.
Ce qui fait que ni Kevin, ni Mickaël ne savaient quoi chercher dans cette maison. Leur surveillance, pour le moins partielle, leur avait permis de déduire les faits suivants : la mère, au chômage, entrait et sortait à n’importe quelle heure. Jessica faisait entrer en cachette des petits copains dans sa chambre avec une régularité rassurante du point de vue du montage de l’opération, mais inquiétante quant à la fréquence. Kevin avait tranché : l’aspect rassurant doit primer sur le côté inquiétant. Quant à Jonathan, il avait quitté la maison une seule fois au cours des quinze derniers jours. Kevin en avait déduit qu’il fallait intervenir dès que le gamin serait sorti.
Et c’était le moment. Kevin et Mickaël, tous les deux dans leur voiture stationnée devant le portail du petit pavillon de Jeanne Lancelin, allaient passer à l’action. En sortant, Jeanne avait dévisagé les inconnus, Jessica avait lancé un trait d’humour très réussi, moquant la coupe improbable de Kevin et l’air très détaché que Mickaël arborait et qui contrastait avec ses sourcils froncés. Jonathan avait complété d’un « On dirait Dupontel le gros ». Comme ni Kevin, ni Mickaël ne se voyaient comme gros, cette sortie les avaient rassurés. On ne parlait pas d’eux. Le fait qu’ils soient les seuls dans la rue, que Jessica et Jonathan les aient pointés du doigt auraient dû leur mettre la puce à l’oreille mais, comme aurait pu dire Kevin « Les puces n’ont rien à faire aux oreilles d’un type comme moi, je laisse ça aux chiens ».
Deux minutes plus tard, ils avaient escaladé le muret très bas du pavillon. Leur discrétion était discutable mais la réalisation de l’escalade restait rapide et presque furtive. Mickaël demanda à Kevin, à l’instant où ils posaient le pied sur le sol de l’autre côté du muret s’il y avait un chien dans la maison. Kevin se retourna vers Mickaël, le toisa et lui lança une réplique salée sur son manque de confiance dans les qualités de stratège de son ami. Si les mots employés étaient un peu moins choisis, le sens restait le même. Mais peu importe les mots puisque Mickaël n’entendit rien de ce que dit Kevin tant sa voix était couverte par l’aboiement du chien qui fonçait vers eux.
Ni Kevin, ni Mickaël ne se demanderaient jamais comment ils avaient pu ne pas s’apercevoir de la présence de ce chien. Ils n’étaient pas du genre à ressasser les échecs passés, ni à en tirer quelques leçons que ce soit pour l’avenir. Seul importait le présent et encore, pourvu qu’il ne proposât pas trop de problèmes insolubles.
Le présent du moment, bien que pénible, restait surmontable : Mickaël se jeta sur le chien sans réfléchir, ce que, de l’avis général, il faisait mieux que personne. Quelques instants plus tard, après une lutte totalement inégale avec le molosse, qui s’avéra être un caniche royal, Kevin osa, au-dessus de son cadavre :
– Saloperie d’animaux, toujours dans nos pattes.
Mickaël sourit, se remémorant surement cette virée dans cette animalerie de Lille. Un autre bon coup de Ludovic qui avait amené nos deux héros à se confronter à un chargement d’animaux très rares et très chers. Les animaux en questions étaient des arachnides et Kevin et Mickaël n’avaient dû la vie sauve qu’à leur bêtise : lorsque Mickaël avait fait tomber la caisse pleine de mygales, Kevin, au lieu de courir en direction opposée, comme toute personne censée l’aurait fait, avait foncé vers les mygales et s’était jeté à plat ventre sur elles. Kevin, couvert de morsures mais survivant au milieu d’un amas de cadavres d’araignées géantes, avait mis sur le compte de son courage sa survie miraculeuse. Kevin avait effectivement survécu, non pas grâce à sa stupidité, mais bien grâce au professionnalisme du vétérinaire australien qui, par acquit de conscience, avait arraché toutes les glandes de poison des araignées.
Reste que ni Kevin, ni Mickaël n’aimaient beaucoup les animaux qui le leur rendaient bien, ou l’inverse, on ne savait plus trop. Le caniche mort, ils purent continuer leur progression jusqu’à la porte où Mickaël posa une question particulièrement censée, surtout venant de lui, et qui eut été tout à fait pertinente si elle était intervenue quelques jours plus tôt :
– On entre comment ?
Kevin, irrité par ces questions qu’il prenait pour autant de remise en question de son autorité et de son génie, sortit, sans mot dire, une radio. Une radio des poumons, ou une radio des pieds, il était difficile de le savoir dans le noir. Il entreprit de faire glisser la radio dans la fente entre la porte et l’huis comme s’ils étaient dans un hôtel de Los Angeles des années 1950.
Il nous faudrait vérifier mais, a priori, personne n’a jamais ouvert aucune porte de maison en France avec une radio. Ou alors une porte des toilettes mais pas une porte d’entrée. Il est possible que quelques appartements mal conçus des années 1970 aient proposé ce type de poignée ronde avec serrure à l’ouverture arbitraire mais la radio est un outil typiquement américain, pour ne pas dire hollywoodien.
A la septième tentative, Kevin, ne supportant plus les « Alors, t’y arrives ? » de son comparse, lui rétorqua : « T’as une meilleure idée peut-être » ?
Mickaël en avait une. Chercher la clef dans le pot de fleur ou sous le paillasson. A ce stade, cette ânerie ne détonait plus, et tous deux se mirent à chercher une clef qu’ils finirent par trouver. Ils auraient pu rattraper le temps perdu à cause du chien et de la radio, si Mickaël n’avait entrepris de faire reconnaitre à Kevin que cette fois-ci, « le cerveau, c’était lui ». Kevin n’entendait pas lâcher une part aussi infime soit-elle de sa position et argumentait sur l’aspect totalement aléatoire de la proposition de Mickaël.
7 minutes plus tard, ils entrèrent enfin. Ils se trouvèrent confrontés, non pas à un autre chien, ni un serpent ou tout autre animal agressif, mais à leur impréparation. Ni Kevin, ni Mickaël n’ayant aucune idée de qu’ils devaient chercher, chacun s’était représenté le trésor : pour Mickaël, c’était assez clair, il suffisait de chercher les chandeliers. Depuis cette version télévisée des Misérables qu’il avait vue avec Depardieu, les chandeliers lui paraissaient le summum du riche. Que Mickaël, dans sa position, ne fit pas le lien entre les chandeliers et l’arrestation de Jean Valjean, n’aurait surpris que les personnes ne connaissant pas Mickaël.
Kevin, plus pragmatique et un peu moins rêveur, s’attendait à trouver des bijoux. Des bijoux dans une boite à bijoux. Rien à espérer de l’entrée, du salon, il fallait monter à l’étage dans la chambre de la mère. Il repéra l’escalier et s’y dirigea lorsqu’il butta dans un objet mou, objet qui lui griffa le bas du mollet à travers le pantalon.
– Ah merde, après le chien, le chat, mais c’est pas vrai !
– Ah dis donc c’est une vraie ménagerie, rigola Mickaël.
Kevin, peu patient d’une manière générale, encore moins avec Mickaël, lui lança : « Tu feras moins le malin quand on tombera sur un serpent. Et ne compte pas sur moi pour t’aider » !
Cette petite pique tenait à la peur viscérale de Mickaël des serpents, qui le faisait littéralement pleurer dès qu’il voyait un objet un petit peu trop long et souple. Kevin aimait bien agiter une longue saucisse sous le nez de Mickaël ou un simple bâton de guimauve. D’une manière générale, Kevin aimait bien se moquer de Mickaël.
Ils continuèrent leur progression vers l’étage. Ils trouvèrent du premier coup la chambre de la mère, et allumèrent car ils avaient oublié les lampes torches. Mickaël avait tenté d’éclairer avec l’écran de son portable, ce qui avait irrité Kevin. La lumière dans la pièce leur permit de constater, assez rapidement, qu’il n’y avait aucun coffre à bijoux. Après 10 minutes de recherches infructueuses – armoire, tiroir … rien ne contenait quoi que ce soit de valeur – ils commencèrent à s’impatienter.
– Mais ils sont où les bijoux ? demanda Mickaël.
– Dans ton cul, rétorqua Kevin que cette remarque faisait toujours beaucoup rire.
Cette manie de répondre « dans ton cul » à toute demande contenant un « où » lui avait pourtant joué de bien mauvais tours. Lorsque la conseillère de Pôle emploi avait tenu à savoir où il souhaitait travailler, ou lorsque le banquier avait souhaité une précision sur l’endroit où il comptait trouver l’argent, les réponses avaient fusé. On ne pouvait pas reprocher à Kevin d’avoir regretté : il continuait à rire alors que le banquier et la conseillère lui demandaient de sortir de leur bureau.
Kevin et Mickaël cherchèrent dans toute la maison, prenant peu à peu conscience que, quand même, cela aurait été bien de savoir quoi chercher. La prochaine fois, Kevin se dit qu’il laisserait parler Ludovic. Sauf si Ludovic déconnait trop bien sûr.
Après avoir fouillé l’étage, inspecté la chambre des enfants, la salle de bain (toujours pas de bijoux) ou même les toilettes, ils redescendirent et entamèrent la fouille du salon. 15 minutes plus tard, il leur fallut se rendre à l’évidence : il n’y avait rien de valeur dans cette maison. Leur colère ne cessa d’augmenter. Comme souvent lorsqu’il était en colère, Mickaël aimait bien uriner à l’endroit de sa colère. Aussi urina-t-il dans le salon, en visant plutôt adroitement une coupelle posé sur la table du salon.
Mickaël déposait donc adroitement son urine et son ADN dans le seul objet de valeur de la maison, ce que Ludovic leur aurait confirmé : une coupelle en céramique réalisée par un artiste très côté mais achetée par Jeanne, par hasard, sur un marché aux puces. C’est en voyant un reportage à la télé que Jeanne s’était interrogée et avait, du même coup, interrogé un peu trop de monde pour savoir ce qu’il en était. L’expert avait été formel : la coupe valait dans les 50 000 euros.
Lorsque Mickaël eut fini d’uriner, ils se dirigèrent vers la seule pièce non encore fouillée : la cuisine. Leur colère était à son paroxysme : ils ouvrirent les tiroirs et firent tout tomber, claquèrent les portes, oubliant que leurs débordements bruyants pouvaient se retourner contre eux, alerter les voisins. La colère était plus forte. Kevin lui, en colère, n’urinait pas forcément, mais tel un enfant, souhaitait se venger. Là, tout de suite, qu’on m’apporte un objet à casser, quelqu’un sur qui taper pour me venger de ma nullité. Kevin ne le verbalisait pas ainsi mais le fond restait le même.
– Ah mais c’est pas vrai, c’est pas vrai !!!
Alors qu’il tournait, furieux, dans la cuisine, il remarcha sur le chat qui le regriffa. Kevin, n’écoutant que sa bêtise, se jeta sur l’animal. En se relevant, il était tellement furieux qu’il tenait le chat à bout de bras, comme s’il allait le jeter contre le mur ou le sol. Il éructait : « Ah, mais heu ! ah mais heu ! ». Ajoutant « C’est de la faute de cette saloperie de chat ». Il tournait en rond comme un fou. Mickaël, qui aurait pu tenter de raisonner son partenaire, se mit à tourner avec lui et y allant de ses « Ouais, t’as raison, c’est tout de la faute du chat ! ». Ils tournèrent ainsi dans la cuisine, Mickaël hochant la tête en rythme comme s’il assistait à un concert de metal et marchant derrière Kevin qui secouait l’animal, avec une envie irrépressible de lui faire du mal. Pour se venger. A force de tourner, ils finirent par se lasser mais leur colère ne baissait pas. Et lorsque le regard de Kevin se posa sur le micro-ondes, il sut quoi faire.
A aucun moment Mickaël ne tenta d’empêcher Kevin de mettre le chat dans le micro-ondes et encore moins de lui interdire de le mettre en marche. A l’instant fatidique, Kevin hésita pourtant : quel mode de cuisson était le plus adapté ? Cela le plongea dans un abime de perplexité où le rejoignit Mickaël dès qu’il lui fit part de son trouble.
Après discussion, ils tombèrent d’accord sur le fait que le mode « décongélation rapide » ne pouvait convenir mais pourrait s’avérer rigolo. Ils optèrent finalement pour « Grill et rôti de 4 kilos » et appuyèrent sur le bouton Marche.
Au juge qui leur demanderait « Mais pourquoi ?», ils se contenteraient de répondre qu’ils étaient frustrés de n’avoir rien trouvé à voler.
La réalité ?
Frustrés de n’avoir rien à voler, ils mettent le chat au micro-ondes
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