Ma femme est violée chaque nuit par l’homme invisible

Quand ce type est entré dans mon bureau, j’ai flairé les emmerdes. Je ne sais pas ce qui m’a mis la puce à l’oreille : ses fringues, son air un peu niais, son assurance ou le mélange des trois. Il s’est assis, comme s’il était chez lui :

– Vous êtes bien détective privé ?

J’aurais voulu lui dire que non, je n’étais pas détective privé. Que les détectives privés n’avaient, globalement, jamais existé. Que j’étais un enquêteur, un métier qui tient plus de l’agent d’assurance que du superflic. Mais pour ce type, j’étais un détective privé. Pour le fun, ou plutôt pour conforter ma première impression, j’ai tenté un « Non pas exactement » assez flou.

– Mais vous enquêtez sur des affaires ?

– Oui, j’enquête.

– Des affaires privées ?

– Privées, oui.

– Donc vous êtes détective privé !

Bingo. Le gros lourdaud bas du front allait me faire la journée.

– Que puis-je faire pour vous monsieur… heu, monsieur ?

Comme j’attendais qu’il me donne son nom, il m’a regardé, a ouvert des yeux de plus en plus grands, sans bouger. Il restait dans l’attente. Dans l’attente de quoi, je n’aurais pas su dire. J’insistais :

– Monsieur ?

– Oui, c’est ça, monsieur, me répondit-il.

Pas la peine de s’entêter avec les lourdauds. On peut à la limite les apprivoiser, tourner autour, mais les prendre de front n’amenait que des ennuis.

– Bien et vous venez me voir pour …

Je laissais ma phrase en suspens, pour constater que neuneu ne la terminait pas. Je finissais pour lui :

– … quelle raison ?

Le point d’interrogation lui a donné le feu vert pour se réanimer et commencer son exposé :

– Voilà, ma femme est violée chaque nuit par l’homme invisible.

J’ai plongé mes yeux dans les siens, à la recherche d’une trace de folie, de doute, d’humour peut-être. Comment font les fous les plus fous pour nous ressembler autant ? Pour paraitre aussi censés. Face à ce genre d’individu, deux solutions : le second degré, c’est à dire la vanne, le foutage de gueule. Ou le premier degré : le sourcil froncé, l’air concentré, la prise en compte du supposé problème. Vu le degré d’avancement de mon client, le premier degré me paraissait le plus sûr.

– Bien. Quand ont commencé les évènements ?

– Les évènements ? Quels évènements ?

Premier degré, mais avec des mots plus simples.

– Depuis quand l’homme invisible viole-t-il votre femme ?

Lueur de compréhension.

– Ah, c’est difficile à dire.

– Ça devrait pourtant être simple à déterminer non ?

– Oui en principe, mais le fait est que ma femme ne s’en est pas rendue compte tout de suite.

Soit l’homme invisible était doté d’un micro pénis, soit la femme du neuneu était aussi lente à la détente que lui.

– Ah, c’est… surprenant.

– Oui, oh, je sais ce que vous vous dites : on doit s’en rendre compte dès le début, le premier jour.

– C’est en substance ce que je pensais, oui.

– Certes, mais … vous devez bien vous rendre compte de ce qu’il y a de surprenant ici justement !

– Oui, effectivement.

– Pourtant vous avez à peine tiqué. Je me serais attendu à plus de résistance, de doute.

Houla, le réveil de la bête. La rendormir, tout de suite.

– C’est à dire que dans mon métier, détective privé, on voit de telles choses.

Retour de la lumière dans les yeux : il a compris, il est rassuré. Je me sens dans la peau d’un dompteur de koala. Faut y aller tout doucement et y a pas grand-chose à espérer.

– Oui bien sûr. Donc on ne sait pas trop quand tout a commencé, parce qu’au début, elle ne savait pas ce qu’elle avait.

– Continuez

– Elle avait mal au, enfin, à, au… enfin vous voyez à …

Si je ne finis pas sa phrase, il doit pouvoir continuer ses « à » « heu » « enfin » jusqu’à tomber d’inanition.

– Parties intimes ?

Il m’a observé comme si je venais d’essayer de manger ses crottes de nez, alors j’ai précisé :

– Son vagin peut-être ?

– Oui c’est ça. Son vagin. Son vagin et…

Je ne voyais aucun moyen de glisser « anus » dans la phrase, sans que neuneu me pète un câble. Aussi j’ignorais ses trois petits points.

– Je vois. Continuez.

– Au bout de plusieurs semaines, on a consulté. Enfin, elle a consulté. Enfin, j’ai insisté pour qu’elle consulte parce qu’elle me disait que ce n’était rien, que ça ne pouvait rien être.

– Et pourtant…

Un blanc. Moi et ma manie de coller des bouts de phrases non finies.

– Et pourtant quoi ? m’a-t-il demandé.

– Et pourtant, ce n’est pas rien.

– Ah ! Non. Non, ce n’est pas rien. Même si le premier médecin n’a rien trouvé. Rien du tout. Mais quelques semaines plus tard, j’ai dû encore insister. Cela devenait insupportable. Et là, là, le deuxième médecin, a noté une grosse irritation. Mais pour moi la conclusion était évidente : ma femme avait été violée. Pire, violée régulièrement depuis des semaines.

J’ouvrais de grands yeux, pour témoigner de mon horreur, du choc que ces mots m’inspiraient. Mais au lieu de l’incliner à continuer, cela le perturba et il resta à me regarder pendant un long moment, attendant visiblement que je referme un peu les yeux et prenne une expression moins théâtrale. Vexé, mais professionnel, je repris :

– Et ensuite ?

– Ensuite, ensuite, j’ai demandé à ma femme d’aller porter plainte à la police.

On atteignait des sommets. Ce type était le plus frappé ou le plus cynique qui soit. Je penchais pour le plus frappé.

– Mais, vous n’avez pas eu peur que…

Encore une phrase ouverte et encore un regard ambiance « finissez votre phrase monsieur ». Je me suis fait plaisir et j’ai laissé la phrase en suspens pendant 120 secondes. 120 secondes à regarder un type vous regarder. C’est long. Et je pense que j’y serais encore, si je n’avais pas conclu :

– Peur que la police ne vous accuse ?

– Moi non, mais ma femme oui. Ma femme m’a dit « non, n’y va pas. Ils croiront que c’est toi ». Je savais bien que ce n’était pas moi.

– Vous pourriez être somnambule.

Je n’imaginais pas ce grand dadais s’activer sur sa femme sans la réveiller, mais à ce niveau de n’importe quoi, ça ou autre chose.

– Oui je pourrais, mais j’ai fait les tests et non.

– Vous avez fait les tests ?

– Oui, c’est même la première chose que j’ai faite lorsque ma femme a insisté pour ne pas aller à la police. Je lui ai dit « Je vais faire les tests de somnambulisme comme ça après la police ne pourra pas dire que c’est moi ».

La logique contrariée de cette phrase m’aurait filé un mal de crane fukushimesque si les restes du rosé de mauvaise qualité de la veille n’étaient déjà passés par là.

– Mais vous n’avez pas pensé que la police aurait pu vous accuser d’avoir violé votre femme… éveillé ?

– Ah ! je vois que ça mouline là-haut, vous êtes un vrai détective privé. Mais ça ne tient pas votre truc puisque ma femme sait que ce n’est pas moi.

– Oui, mais vous oubliez que si la police peut prouver un crime, elle n’a pas besoin de témoin. Votre femme témoignerait que ce n’est pas vous, s’ils pouvaient prouver que c’est vous, vous iriez au trou.

Aucune inquiétude dans le regard, mais une sorte de satisfaction, celle du professeur qui va administrer une leçon à l’élève :

– Mais ils ne peuvent pas prouver que c’est moi puisque c’est l’homme invisible.

Imparable. Échec et mat.

– Oui, où avais-je la tête ?

– Sur les épaules.

– Bien. Et cet homme invisible alors, comment l’avez-vous identifié ?

Une petite pause. Pour la première fois depuis qu’il a passé la porte de mon bureau, il a l’air gêné, il se comporte presque normalement.

– C’est un petit peu compliqué à dire. Pas compliqué, mais un peu ridicule.

– Dites quand même, vous êtes venu pour ça non ?

Qu’un type débarqué pour se plaindre du viol de sa femme par l’homme invisible craigne tout à coup le ridicule ne manquait pas de piquant.

– C’est vrai, c’est vrai. Eh bien, j’ai dû insister encore auprès de ma femme. Je lui ai dit que ce n’était plus possible. Cela faisait des mois maintenant que cette histoire durait. Nous devions faire quelque chose. Des mois que nous n’avions pas…

Là, il s’est arrêté. J’aurais pu terminer sa phrase ou l’inviter à la finir, mais je trouvais plus amusant de l’imiter. Je le regardais comme un ahuri en attendant qu’il finisse. Ça l’a perturbé un peu, enfin 180 secondes, et il a fini par lâcher :

– … fait l’amour.

Bingo. Le cas nébuleux venait de se limpidifier.

– Alors votre femme ne voulait plus faire l’amour depuis des mois.

– Ce n’est pas qu’elle ne voulait pas. Mais elle ne pouvait pas.

Après l’avoir laissé finir ses phrases à son rythme, il était temps de passer au mien et d’expédier cette affaire rapidement :

– Elle ne pouvait pas faire l’amour avec vous, car chaque nuit, l’homme invisible la violait c’est ça ?

– Voilà.

– Et l’homme invisible vous l’avez identifié en restant éveillé toute une nuit à surveiller votre femme, discrètement, du coin de l’œil.

– Oui.

– Et vous aviez dit à votre femme que vous resteriez éveillé ?

– Bien sûr.

– Et pendant la nuit elle s’est mise à bouger, à se secouer dans le lit.

– Tout à fait.

– Bien, alors, ça fera 500 euros, payable d’avance.

– Comment ça ?

– Pour la solution.

– Ah bon.

Il a cherché dans son portefeuille. Je n’ai pas relevé. Peu de personnes ont 500 euros en liquide sur elles, mais lorsque l’on va voir un détective privé, bizarrement, personne ne propose jamais de payer en carte bleue ou par paypal.

– Ce soir, couchez-vous, comme si de rien n’était. Ne dites surtout pas à votre femme que vous allez rester éveillé.

– D’accord.

– Ensuite, lorsque vous aurez vu que rien ne s’était passé durant la nuit.

– Comment ça ?

– Lorsque vous aurez vu que rien ne s’était passé, attendez que votre femme se réveille et proposez-lui de faire l’amour.

– Et ?

– Vous aviserez.

– Je ?

­– Vous verrez.

– Je verrai quoi ?

– Vous verrez que votre femme vous dira « on ne peut pas faire l’amour, il est revenu ».

– Ah bon, elle me dira ça ?

– Oui.

– Et ?

Il allait m’obliger à tout préciser. Ses capacités de déductions approchaient du zéro absolu.

– Et vous en déduirez que votre femme ne se fait pas violer !

– Ah bon ? Et ?

– On en reparlera à ce moment-là si vous voulez bien.

Je lui pris le billet de 500 des mains. J’avais flairé les emmerdes et je me retrouvais avec les 500 euros les plus facilement gagnés depuis que je pratiquais ce boulot pourri.

Et voici la réalité…

Ma femme est violée chaque nuit par l’homme invisible

1 Comment for “Ma femme est violée chaque nuit par l’homme invisible”

Université de Strasbourg

says:

Nathalie Gettliffe Grant, maître de conférence à l’université de Strasbourg a affirmé, voici quelques mois, dans un journal canadien, “avoir été violée par des extra terrestres, venus la rencontrer dans la prison de Vancouver, où elle était incarcérée.
Il y a quelques années, Nathalie Gettliffe, Maître de conférence à l’université de Strasbourg, condamné à 16 mois de prison ferme pour enlèvement d’enfants au Canada était raëlienne comme Dieudonné. Elle a persuadé son fils aîné Maximilian Grant de rejoindre Raël, à une époque où elle se disait persécutée par d’autres extra-terrestres

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