Quelle belle journée. Quelle belle journée pour un marathon. Quarante-deux kilomètres. Soit trente kilomètres de promenade et douze bornes de baston. Trois heures pour repousser mes limites. Une très belle journée.
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Quelle journée de merde. Journée de merde à se faire chier à surveiller un marathon. Deux mille trous de balle qui n’ont rien de mieux à foutre que de courir comme des cons alors qu’ils pourraient prendre leur voiture.
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J’ai mal dormi, mais c’est normal. L’angoisse de se blesser, les douleurs fantômes, le doute sur la tenue. Aurais-je trop chaud, trop froid. Mais un bon petit déjeuner va me remettre d’aplomb. Même si je n’ai pas faim et pas vraiment envie de me gaver de pâtes. Mais qu’est-ce qu’on pourrait manger qui nous tienne aussi bien au corps s’il n’y avait pas les pâtes. Al dente !
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Fais chier ! Y’a plus de céréales. Pourquoi est-ce que personne ne rachète jamais de céréales, merde ? Bon, tant pis, je m’arrêterai prendre un Donut chez l’autre Mexicain. Et merde, je suis en retard.
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Quelle heure ? Je suis bien. Parfait. Tout roule. Trente minutes pour rejoindre le point de départ. Parfait. Quelle belle journée. Je pourrais presque y aller à pied. Non. Je vais quand même prendre le métro.
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Ça roule pas là ! Avec ce marathon de merde, tout est bloqué. Je vais être à la bourre avec ces conneries. Je vais être à la bourre. Allez avance là, mais avance bordel !
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Dossard 10 678, je sens là un numéro qui va me porter chance. 10 678, un numéro de winner. Cette année, c’est obligé, je bats mon record. Je passe sous la barre des trois heures. Impératif.
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Une heure pour aller bosser tout ça parce que des désœuvrés n’ont rien de mieux à foutre que de courir pendant des heures. Et c’est organisé avec nos impôts. Heureusement que je n’en paye presque pas. Mais quand même. Tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent.
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Cent euros l’inscription, c’est vrai que ce n’est pas donné, mais qu’est-ce que c’est comparé au plaisir de se retrouver entouré de tous ces dossards ? Bonjour. Bonjour. À sept heures un dimanche matin, on se reconnait vite. J’adore cette arrivée groupée, ces rencontres, ce plaisir partagé, cette excitation commune.
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Ah quand même. Il était temps. Alors, il est où le PC cette année ? Comme l’année dernière j’espère. Pas envie de me faire chier à tourner en rond pendant trois plombes. « Bonjour, le PC c’est pas là ? » Ouais merci, c’est ça. Ils sont déjà là ces cons. Avant de courir, ils aiment bien poireauter.
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Quel monde, non, mais quel monde. Il y a encore plus de personnes que l’année dernière. Quel succès. Je suis content de faire partie de ce grand moment. « Bonjour, oh oui, c’est marrant de se retrouver là. Oui, merci. Vous aussi. Oui, je pense que les premiers partent maintenant. Ce sera à nous dans quinze minutes ». Je n’en peux plus d’attendre.
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Tiens, voilà le connard de chef. Oui, je suis à la bourre, je sais connard. Voilà. Quoi ? Je me mets où ? Au PP4. Quoi ? Point de passage 4, c’est quoi le point de passage 4 ? Les chiottes à mi-parcours. Parce que ces cons n’ont pas chié avant de partir ? Il y a des chiottes maintenant sur les marathons. Et ils m’y collent.
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Ah, ça démarre, on avance, ça y est. Le début. Ahahaha. Oui. On avance. « Oui monsieur, vous aussi ». Oui. Je suis bien. Je me sens bien. Le corps est là et plus important, le mental est là. Allez. C’est parti.
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PP4. « Tu vois les chiottes sont là normalement, mais ces cons se sont plantés. Ils ont monté des algécos à gauche. C’est des bureaux quoi. Et les chiottes sont à droite, juste derrière le bureau. Ah ! Ne me demande pas comment les gens peuvent faire des trucs aussi cons. » Donc cette nuit, des types sont venus bosser pour installer des chiottes, mais ils ont aussi monté un petit bureau d’architecte/chef de chantier. Les cons.
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Et un kilomètre, un. Allez, en avant pour le deuxième kilomètre. Je suis bien. Pulsation nickel, battements de cœur nickel. Je suis bien. Je vais bien. Le paysage est magnifique. J’adore courir dans cette ville. Tiens je vais me coller sur lui là. Il m’a l’air bien. Ni trop rapide, ni trop lent et régulier. Je me colle sur lui.
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Faut vraiment être con. Mon boulot de cette matinée de merde : router les cons dans les chiottes. Pour les débiles légers qui seraient assez abrutis pour essayer de chier dans le bureau de l’architecte. Non, mais vraiment. Je vais dire « les toilettes sont à droite » pendant toute la matinée. « À droite, droite ».
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Point de passage 1. Cinq kilomètres, j’attaque le kilomètre six. Je vais arrêter de suivre ce type, il accélère, ralentit, réaccélère trop, il va me casser le rythme. Faudrait que j’en trouve un autre. Tiens-lui, il m’a l’air mieux. Allez. Bonne pulsation, bon rythme, je suis bien.
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« À droite ! À droite pour les toilettes monsieur. À droite oui ». Ah journée de merde, c’était le cas de le dire. « À DROITE monsieur. Non n’avancez pas. Merci. Voilà à droite ». En même temps qu’est-ce que j’en ai à foutre qu’ils aillent à droite ou à gauche ? Ils peuvent bien chier dans le bureau de l’architecte, je m’en tamponne.
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PP2 Dix kilomètres, en route pour le onzième. Commence à chauffer un peu. Je ne sais pas ce que j’ai, mais j’ai envie d’aller aux toilettes. Je suis presque dans le rouge là. Pfff, je me demande si je n’ai pas la diarrhée. Qu’est-ce qui m’arrive ? Allez, encore un kilomètre, juste un kilomètre de plus.
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« À DROITE HEU » ! Pas vrai. C’est le cinquième qui essaie de pisser dans le bureau. Ça va bien maintenant. « À DROITE ». Ils ont laissé leurs neurones chez eux ou quoi ? « À DROITE. Non monsieur, n’avancez pas, c’est pas par là. Arrêtez-vous je vous dis. Mais arrêtez enfin » !
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Ça devient compliqué là. Faut absolument que je m’arrête. Je peux quand même pas baisser mon froc devant tout le monde. Avec tous ces gens-là qui nous regardent. Ils nous regardent et ils nous encouragent. Oui, ça fait chaud au cœur. Allez, je continue, par contre avec la diarrhée, là, je vais ralentir. Tant pis, je passerai pas sous les trois heures cette année.
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« À DROITE. JE VOUS DIS À DROITE » ! Ils sont combien ces cons ? Vingt mille, trente mille ? Ils vont quand même pas tous essayer de chier dans le bureau de l’architecte? Ils peuvent pas pisser ou chier avant de partir ? Et ce soleil à la con dans les yeux là. Pourquoi j’ai oublié mes lunettes, je les vois à peine arriver.
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Il est où le point de passage suivant ? Je tiens plus là. Je dois m’arrêter tout de suite. Là maintenant. Non, non, je dois finir. J’aurai pas fait toute cette préparation pour rien. Trois mois d’entrainement annulés à cause de quoi, de la chiasse ? Ah non ! Normalement au prochain PP, y’a des chiottes. Les fruits de mer dans les pâtes, c’était pas très malin. Qu’est-ce qui m’a pris ?
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Je m’en fous, allez à gauche si vous voulez. Non, je vais me faire engueuler. Peut-être même qu’ils me feront une retenue sur salaire. « Vous là ! À DROITE » ! Putain de soleil.
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Bon, j’accélère, tant pis, je vais me griller, je serai dans le rouge, mais au moins je ne me chierai pas dessus.
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Qu’est-ce que c’est que ça ? Houla, c’est un sprinter là. Ça vient vers moi là. « À DROITE. À DROITE » !
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Vite, vite, vite. Allez, accélère, je peux encore y arriver.
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« À DROITE » ! Mais il accélère ou quoi ? « À DROITE » !
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Allez. 5 secondes et je suis bon.
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Mais il va me rentrer dedans !
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4 secondes !
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Il me rentre dedans le con.
3 secondes !
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Tu vas voir qui fait la loi ici !
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2 secondes !
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Quand je dis à droite, c’est à droite.
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J’y suis.
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Tiens prend ça ! Un bon coup de taser dans la gueule.
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Merde.
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Il s’est chié dessus le con.
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Un grand merci à Antoine qui m’a beaucoup éclairé sur la psychologie du Marathonien. Toutes les invraisemblances sont de mon fait.
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